Petite histoire des Belges en Alberta

21 février 2014

Petite histoire des Belges en Alberta

drapeau belge

Et hop, un autre petit cours d’histoire…

Ceux qui prennent le temps de me connaitre savent probablement que je suis d’origine belge… Ce n’est pas quelque chose que je chante sur tous les toits (quoique l’idée n’est pas si saugrenue…) et il n’y a peu de choses chez moi qui soulignent ma fière belgicité… à peine une statue grandeur nature du Manneken Pis, quelques livres d’histoire, et … ahem, une cave de bières belges assez bien garnie, merci bien…

Bref, vu mes origines, j’ai toujours eu un intérêt pour l’histoire des Belges dans l’Ouest canadien. Ayant passé ma tendre jeunesse à Saint-Boniface au Manitoba, j’ai eu l’occasion d’y apprécier à maintes reprises le « Belgian Town », cette pointe de quartier située entre le boulevard Provencher, la rivière Seine, et les rues Archibald et Messier. Il ne reste plus grand-chose de ce petit quartier dont les origines remontent au début du 20e siècle. De nos jours, le cimetière belge (Sacré-Cœur), la caisse populaire belge et le Club Belge y témoignent toujours d’un attachement à la mère-patrie, quoiqu’il ne doive plus y avoir beaucoup de familles belges qui y résident encore.

Bon, assez pour l’histoire manitobaine, plongeons dans l’histoire des belges en Alberta…

Selon toute vraisemblance, les premiers Belges à fouler le sol de l’Alberta auraient été des coureurs de bois participant à la traite des fourrures à l’époque de la Nouvelle-France… L’opinion populaire semble vouloir dicter que ces coureurs des bois ou voyageurs étaient tous des Français… pas du tout, il y aurait eu des Belges (même si la Belgique n’existait pas à l’époque), des Suisses, des Allemands, des Scandinaves, etc…

Ensuite ce fut la période d’évangélisation de l’Ouest canadien par les missionnaires dont, entre autres, un nombre assez impressionnant de Belges ! Le père Pierre-Jean de Smet, de Dendermonde en Belgique, arrive au Fort Edmonton en 1845… Des pères belges de l’ordre des Oblats de Marie-Immaculée arrivèrent à la mission du Lac-la-Biche en 1874. Ces mêmes Oblats contribuèrent à la fondation du collège Blue Quills à Saint-Paul et des écoles pour autochtones à Hobbema. Le Père Léonard Van Tighem, un fier Brabant, passa de nombreuses années auprès de la nation Pied-Noir et fonda plusieurs écoles à Calgary, Lethbridge et Taber. Son frère Victor fut missionnaire à Fort Macleod. Une lettre du Père Leduc écrite en 1895 à la Supérieure des Dames du Très Saint Sacrement à Bruxelles est remplie d’éloges pour l’excellent travail des missionnaires belges en Alberta (merci Éloi pour cette information !).

Mon ami Eloi DeGrâce a récemment rédigé un article dans le Franco, notre hebdo francophone albertain, sur les communautés belges et françaises en Alberta au début du 20e siècle. Semble-t-il que les Belges (ok, ok… et les Français) représentaient un pourcentage important de la francophonie albertaine au courant des années pré-Première guerre mondiale… Lors de l’appel aux armes en 1914, de nombreux Belges prirent le chemin de la défense de la patrie, entonnant certainement avec fierté la Brabançonne… La grande majorité ne revint pas dans nos contrées albertaines…

Le village de Trochu, petit bled situé au sud de Red Deer est reconnu pour l’histoire utopique des soldats français qui vinrent s’y installer en 1903. Un fait rarement mentionné est que ces soldats français furent rejoints par des aristocrates belges qui contribuèrent à financer l’incorporation du ranch Sainte-Anne. Lorsque la Première Guerre mondiale fut déclarée en 1914, les Français et Belges retournèrent se battre en Europe… Alea Jacta Est. Aucuns Belges ne revinrent à Trochu, ayant tous péri sur le champ de bataille.

Ce qui est intéressant avec l’histoire des Belges en Alberta, c’est, plus qu’autre chose, la « petite histoire ».

Fondé par un missionnaire belge en 1903, l’église Saint-Norbert de Millet avait en sa possession jusqu’à sa fermeture en 2012, une statue de Saint-Norbert offerte par la congrégation du missionnaire en question. Wetaskiwin, à une quarantaine de kilomètres de Millet, avait aussi une vibrante communauté belge composée autant de Wallons que de Flamands. Il ne semble pas y avoir eu de querelles linguistiques et on note même une certaine assimilation des Flamands dans la communauté wallonne. Maintenant bien intégrés à la majorité anglophone locale, leurs descendants y vivent toujours. J’ai ouï dire que le meilleur endroit en Alberta pour trouver des fameuses gaufres liégeoises serait à Wetaskiwin… Une quête intéressante en perspective…

Un Wallon, François Adam, arrive à la mission Duhamel en 1886. Cette mission située à environ 80 kilomètres au sud-est du Fort Edmonton, avait été fondée avec l’aide de missionnaires belges quelques années auparavant. Fier Wallon, agriculteur de métier, grand amateur de houblon (ok, je n’ai aucunes preuves de cela…) François Adam se met à défricher une terre à l’extérieur de la mission et s’y construit une habitation. Étant un des premiers pionniers de la région, il est aujourd’hui reconnu comme étant un des fondateurs de la ville de Camrose.

Il y a aussi l’histoire du pauvre cocu belge de Cardston, ville reconnue de nos jours comme étant la capitale canadienne des Mormons… Originaire de Mouscron en Wallonie, Henri Hoët, un charpentier, arrive à Cardston en 1913. Débordant d’amour pour sa dulcinée qu’il a été obligé de quitter afin de s’aventurer au Canada, il décide de lui construire un énorme château en pierres de basalte avec un grand intérieur en bois franc. La construction lui prit 15 ans… La belle dame de ses rêves ne traversa jamais l’Atlantique pour venir le retrouver ayant trouvé depuis longtemps son bonheur en Wallonie. Henri en fut tellement attristé qu’il ne s’est jamais marié… L’histoire n’explique pas pourquoi cela lui a prit 15 ans avant de réaliser qu’elle ne viendrait pas…

Pour en revenir à Wetaskiwin… Lorsque j’étais à Calgary, j’avais un mentor communautaire du nom de Paul De Schryver. Originaire de la région de Gand (Ghent), en région flamande, et ayant passé quelques années au Québec, Paul était venu s’installer à Calgary. Quoiqu’il ait été flamand, Paul parlait un excellent français avec même une petite touche d’accent québécois. Il était très impliqué au sein de la francophonie calgaréenne : président de la Société franco-canadienne de Calgary, membre fondateur de la Cité des Rocheuses, membre de la paroisse Sainte-Famille, et administrateur au sein d’innombrables conseils d’administration. C’est un peu grâce à lui que je suis devenu un francophone « vendu à la cause »… Paul était propriétaire de deux cliniques de physiothérapie à Calgary et nous nous étions rencontrés lorsque j’étais vendeur d’annonce pour un journal mensuel francophone maintenant disparu, le Calgaréen. Et non, ce n’était pas parce que j’étais mauvais vendeur… C’est en réussissant à lui vendre des annonces justement que nous sommes devenus amis. Paul avait une conviction communautaire qui correspondait parfaitement à la mienne, soit une vision inclusive axée sur la participation citoyenne et non seulement sur celle d’une certaine élite communautaire. C’est vers l’an 2000 que sa santé a commencé à se détériorer. Puisque j’étais déménagé à Edmonton en 2003 afin d’accepter un poste de fonctionnaire, nous avions hélas perdu contact. C’est en 2004 que j’appris son décès à la suite d’un cancer.

Oui, oui, je sais… quel est le lien avec Wetaskiwin ? Au courant de l’été 2011, ma famille et moi nous promenions dans la région de Wetaskiwin, plus précisément sur la route 822 dans la région de Gwynne, non loin du lac Coal. La route serpentante nous mena éventuellement vers une petite chapelle catholique, un peu perdue entre des fermes, entourée de nombreux pâturages remplis de grosses vaches Holstein…. En nous arrêtant pour apprécier la chapelle, nous avons aperçu qu’elle abritait un petit cimetière. Étant un mordu d’histoire de la francophonie albertaine, j’ai la tendance lorsque je voyage à sillonner les cimetières un peu partout en province afin d’y répertorier des noms d’origine francophone. En longeant une rangée située au côté sud-ouest du cimetière, un nom capta vite mon attention : Paul de Schryver… Décédé à Calgary, mon mentor avait décidé de venir passer l’éternité dans ce paisible endroit en pleine campagne albertaine. Une place était déjà réservée pour son épouse Céline … Je n’ai jamais poussé mes recherches afin de connaitre le lien entre Paul et la ville de Wetaskiwin mais je suppose que cela pourrait être relié à l’histoire des Belges à Wetaskiwin…. Le hasard semblait m’avoir amené à cette petite chapelle afin que je puisse saluer mon mentor. J’y suis retourné deux fois depuis…

Pour ce qui est de mes « pèlerinages » dans les cimetières albertains, ce sera une autre histoire…

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Commentaires

Blog Voyages
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Article sympa et plutôt agréable à lire. Je vais souvent en Belgique, j'aime beaucoup ce pays.

Lise De Schryver
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Bravo pour votre article. Je suis une nièce de Paul De Schryver. Je suis contente d'apprendre toute l'implication que mon oncle avait dans sa communauté. Impressionnant! Vivant en Ontario, nous vivons journalièrement l'influence de la langue de Shakespear.