Le clair de lune me plonge dans la pénombre tandis que la brise automnale me glace le sang…  Une chouette hulule à proximité ajoutant un air lugubre à ces tristes aboiements que je perçois au loin.  J’avance à pas lents écrasant sans le vouloir des feuilles mortes étalées devant moi tel un sinistre tapis….  

Dans ce lieu appartenant à l’au-delà,  où les âmes ne sont plus que des souvenirs oubliés, les ombres inquiétantes des tombes se profilent à travers le brouillard.  Je m’approche, quasi-machinalement, vers une pierre où les forces du temps ont presque effacé l’histoire d’une vie…  Hanté, comme je le suis par le passé, une impression de solitude bizarre me traverse l’esprit…

….Cimetière de Chauvin

Bon, je l’admets, mes passe-temps sortent un peu de l’ordinaire.  J’ai toujours été fasciné par les cimetières; ces lieux où se maintiennent les souvenirs d’autrefois avant de se perdre inexorablement dans l’abysse du temps.

Cet intérêt remonte à mon adolescence à Saint-Boniface au Manitoba lorsque, après l’école, je traversais le cimetière de la Cathédrale pour rentrer chez moi sur la rue Jeanne D’Arc.  Les tombes des architectes et maçons de l’histoire m’attiraient comme si elles promettaient de me dévoiler des secrets oubliés depuis belle lurette.  Ayant appris l’histoire du fondateur du Manitoba Louis Riel à l’école, sa tombe, la plus élevée du cimetière de la Cathédrale, signalait non seulement l’attachement  que la communauté actuelle avait toujours pour lui mais aussi le symbole de fierté qu’il était devenu.  Pourtant sa tombe est entourée de centaines d’autres.  Qui étaient donc tous ses gens dont la plupart des noms sont absents de nos livres d’histoire ?

J’ai toujours eu un vif intérêt pour l’histoire et j’avais même à une certaine époque, contemplé l’idée d’en faire l’objectif de mes études.  La vie nous mène où elle doit et ce ne fut hélas pas le cas.  Tout en poursuivant mon chemin de vie, cette passion m’a suivi jusqu’en Alberta où, dès mon arrivée en 1979, j’ai commencé à explorer les cimetières du sud de la province.

Dans le cadre de mon travail, j’ai toujours eu une tendance populiste et cela se reflète aussi dans mes intérêts.  L’histoire de la francophonie albertaine ne se limite pas aux personnages bien connus tels que le Père Lacombe, les frères Rouleau, J.-H. Picard, Jean Patoine, Eugène Trottier et tant d’autres qui ont été les architectes de notre communauté.  Ces personnes avaient des familles, des employés, des associés, des voisins qui ont eux aussi contribué à leur façon et selon leurs capacités à l’avancement et au développement communautaire.  Pourtant, les seules preuves de leur existence s’effritent lentement, victimes du temps, dans nos cimetières.  

Dans les cimetières, les inscriptions tombales nous révèlent une foule de renseignements, notamment sur l’histoire communautaire, la généalogie et la géographie culturelle.  Les cimetières ne sont pas seulement des lieux spirituels ou des « encyclopédies » collectives, ils sont aussi des éléments patrimoniaux qui se doivent d’être ancrés dans notre réalité contemporaine.   

Le cimetière de Saint-Joachim à Edmonton reflète encore assez bien les débuts de la francophonie d’Edmonton.  Il est relativement assez facile d’obtenir une liste des tombes afin de pouvoir identifier les origines francophones de nombreux défunts.  Une petite excursion révèle qu’un grand nombre de ces tombes, même après de nombreuses années, reçoivent toujours des fleurs – même si ces dernières sont souvent  en plastique – indiquant qu’un certain lien de famille existe toujours avec des citoyens actuels .  D’autres tombent en ruines soulignant possiblement la fin d’une lignée familiale ou le désintérêt de la descendance du défunt.  Quoiqu’il en soit, ces personnes ont eu un vécu qui, pour la plupart, n’est pas répertorié et qui sombre dans l’oubli. 

Au fil de toutes ces années en Alberta, je ne sais plus combien de cimetières j’ai visités … certainement plus d’une centaine.  Dans tous ces cimetières, que ce soit ceux de communautés oubliées telles que Hillcrest ou Lille, ou de villes et villages non associés à l’histoire francophone telles que Cardston, il est possible de trouver des vestiges de la contribution des francophones.  Des fois, ce n’est qu’un nom de famille à consonance francophone ou un lieu de naissance situé dans une patrie où la langue française est toujours d’usage (Québec, Acadie, France, Belgique, Suisse)…

Les lichens, les mousses, ainsi que des facteurs climatiques tels que la pluie, le gel et notre climat sec sont les ennemis redoutés des tombes de nos cimetières.  Ces facteurs contribuent à effacer les inscriptions tombales accélérant ainsi notre perte de mémoire collective.  Les cimetières de Dorothy, East Coulee, Coleman, et Carmangay contenaient jusqu’à récemment des tombes avec des inscriptions en français mais ces dernières ont été effacées par le temps.  Dans le vieux cimetière de Chauvin, les familles Tessier, Lacroix et Montjoie y sont bien représentés mais les inscriptions sont uniquement en anglais indiquant que le temps n’efface pas seulement les inscriptions tombales…

Avis à qui de droit – un projet intéressant et, à mon avis, assez facile à réaliser serait d’embaucher des étudiants l’été pour photographier les tombes francophones qui sont toujours bien visibles à Edmonton, Calgary, Saint-Albert et ailleurs avant qu’elles ne disparaissent à leur tour… 

Donc, si vous me voyez un jour dans un cimetière non loin de chez vous, n’ayez crainte….  Et, promis, j’essaierai d’éviter le 31 octobre…

 Cimetière de Legal

Commentaires