Absence de l’histoire africaine en Alberta

23 décembre 2014

Absence de l’histoire africaine en Alberta

Carte du Congodrapeau franco-albertain

Ici, en Alberta, nous avons de la neige depuis environ un mois… Voir la neige tomber est un événement un peu traumatisant pour ceux, qui comme moi, ne voient pas l’utilité de se lancer à pleine allure, du haut d’une colline, sur une paire de planches longues et fines que certains appellent des skis… Et qui se sentent coupable d’envisager les sept prochains mois pantouflés à l’intérieur d’une chaumière en combattant, sans trop de succès, une armée de microbes et de virus…

Pendant que ces affreux flocons salissent la belle verdure qu’était toujours jusqu’à récemment mon jardin, je pense à l’Afrique… Un vieux sage m’avait une fois expliqué que lorsque l’on passe un mauvais moment, il faut se concentrer sur quelque chose qui en est l’exemplarité du contraire. Voilà ce qui explique donc le flot de mes pensées vers ce continent…

Pourquoi l’Afrique ? J’ai toujours été fasciné par ce continent depuis mon enfance. J’ai eu l’occasion à plusieurs reprises d’y aller : Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Cameroun, Madagascar, Rwanda, Burundi, Ouganda… Au Rwanda, j’ai grimpé des volcans pour partager l’intimité d’une famille de gorilles des montagnes, et ce, pendant que l’on pouvait entendre des coups de canon qui nous provenaient du côté congolais du même volcan. Au Burkina Faso, j’ai vu de jeunes enfants, morts de faim, qui étaient pleurés par des villages entiers. L’Afrique, c’est cela; autant de beauté que de misère…

Je commençais à planifier mon prochain voyage au Bénin où je m’étais engagé à collaborer avec un organisme de Porto-Novo qui travaille avec des orphelins dont un grand nombre proviennent des pays limitrophes déchirés par la guerre. Suite à l’épidémie d’Ebola, il m’a été fortement recommandé d’annuler ces plans de voyage… J’ai écouté.

Pourtant l’Afrique continue de m’appeler…

Je lis depuis quelque temps un livre de l’auteur flamand David Van Reybrouck sur l’histoire du Congo. Des livres sur l’histoire et les politiques de l’Afrique, je dois en avoir des vingtaines, au grand désarroi de mon épouse d’ailleurs… Tous ou presque racontent l’histoire africaine d’un point de vue occidental, donc solidement ancré dans des vestiges colonialistes. Ce livre, tout simplement appelé « Congo » me fascine; Van Reybrouck a réussi un rare tour de force en écrivant sa brique (680 pages!) – prendre le temps d’écouter les Africains, plus précisément les Congolais, raconter eux-mêmes leur propre histoire. En se faisant, la perspective est totalement différente – on oublie les « bienfaits » des Belges colonisateurs pour apprécier l’histoire tant méconnue d’un peuple (en fait toute une panoplie de peuples!) qui n’ont jamais demandé à être colonisés… Une histoire extrêmement riche! Les empires africains qui ont évolué au centre de l’Afrique avant d’être oubliés par l’abysse du temps… Les différents peuples qu’abritait une vaste jungle qui s’étendait de l’Atlantique aux Grands Lacs… Il y avait avant l’époque coloniale plus de peuples au Congo, tous différents l’un de l’autre, qu’en Europe… les Bakongo, les Bakuba, les Balunda, les Bayaka, les Tutsi, etc. J’avais déjà lu la biographie du roi Léopold II et les horreurs de l’État indépendant du Congo dont le nom ne reflétait nullement la réalité. L’histoire des mains noires, je connaissais, mais lire le récit de gens qui peuvent retracer leurs lignées familiales à cette époque si dévastatrice, cela donne des frissons… De même pour les origines du kimbanguisme et l’emprisonnement forcé de ses premiers religionnaires lors de la création d’une religion réellement africaine. Les étapes, souvent sanglantes, qui ont mené le pays vers la genèse d’une nouvelle nation indépendante sont encore plus fascinantes lorsque racontées par des gens qui ont connu Lumumba et Kasa-Vubu. Sur une note un peu plus joyeuse, en tant que grand amateur de musique, j’étais ébahi d’apprendre que Kinshasa était un des berceaux du jazz et de la rumba en Afrique durant les années cinquante : Antoine Kalosoyi, Camille Makoko, etc.

Pourquoi est-ce que je vous parle de l’Afrique dans un blog qui se veut dédié à la francophonie albertaine ? J’y arrive…

Depuis au moins une vingtaine d’années, si pas plus, les Congolais arrivent en Alberta. D’abord dans les grands centres, Edmonton et Calgary, où des diasporas de plusieurs centaines de familles sont bien installées et contribuent à la société canadienne. Beaucoup plus récemment, c’est à Brooks, Lethbridge, Red Deer que nous les retrouvons. Le nouvel agent culturel de l’ACFA régionale de Falher, dans le nord-ouest de la province, est un jeune Congolais…

Pourtant, qui était le premier Congolais en Alberta ? Nul ne le sait… Je connais bien quelqu’un d’origine congolaise qui est ici depuis les années 80, mais rien n’est répertorié qui pourrait indiquer qu’il était parmi les premiers… Il existe bel et bien des associations congolaises dans les deux grandes métropoles albertaines, mais nous n’en connaissons pas l’histoire… Nos archives provinciales semblent avoir été oubliées pour ce qui est des manuscrits, des procès-verbaux, des photos, des listes des membres des conseils d’administration d’un peuple qui participe aussi au développement de notre francophonie albertaine.

Cela s’explique, du moins en partie, par les exigences des besoins d’intégration; se trouver un logement, un emploi, une école pour les enfants, l’envie de se canadienniser… C’est compréhensible. Pourtant des associations se sont créées au fil des ans… Que sont devenus les documents d’incorporation, les listes de présences lors de la première assemblée annuelle, les procès-verbaux ? L’écho de l’histoire congolaise a de la difficulté à vibrer entre les frontières de l’Alberta et je suis déçu que mes enfants n’apprendront peut-être pas l’histoire de certains de leurs amis de classe… L’histoire de la francophonie albertaine n’est pas uniquement celle des trappeurs et des contributions du clergé catholique…

Je parle ici des mes concitoyens congolais mais la situation est identique pour les autres communautés africaines : ivoiriens, camerounais, maghrébins, etc.

Je connais le nom du premier agent culturel d’origine congolaise à Falher – qui d’autre le saura?

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Commentaires

manon
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Jolie mélancolie.

Stéphane-R. Tremblay
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Bonne question! N'y aurait-il pas quelque chose dans les dossiers d'immigration?